Entretien avec Mr Roulleau-Dugage, directeur
APEL : Monsieur le directeur, vous avez bien voulu répondre à nos questions et je vous en remercie. C’était une habitude il y a encore peu de temps, nous prenions des nouvelles les uns des autres et formulions le souhait que chacun aille bien. Comment va aujourd’hui Saint Vincent ?
A quoi mesure-t-on la bonne santé d'un établissement ? Si c'est à la confiance qu'il inspire, nous n'avons pas de meilleur indicateur que les inscriptions pour la prochaine rentrée. Elles ont explosé à l'entrée du Lycée, en Seconde et en Première, elles restent soutenues en CPGE, malgré la fin du bail qui nous liait à la Résidence Coeur-de-Sévigné et le déménagement provisoire sur le site du "Carmel". L'Ecole affiche complet. Il n'y a guère que la classe de 6ème qui connaisse un très léger recul des demandes. Si l'on considère la plus-value pédagogique de l'établissement, la mesure est plus difficile, surtout en l'absence d'épreuves d'examen communes à tous les élèves, mais l'enseignement à distance nous a permis de constater un taux de décrochage extrêmement faible. Dernier point : l'âme de l'établissement se porte-t-elle bien ? C'est encore plus difficile à évaluer, car l'âme ne se mesure pas. Saint-Vincent est-il en accord avec le projet annoncé ? Il me semble que oui, mais chacun peut se faire son idée en revoyant ces fondamentaux éducatifs tels qu'exprimés sur notre site. Je n'ai pas plus autorité à en juger que les parents.
APEL : En sortie de confinement, les familles ont craint pour la perte de niveau scolaire de leurs enfants. Avez-vous mesuré de votre côté cette perte de niveau et doit elle nous alarmer?
Je le redis : nous avons très peu connu de décrochage scolaire et le suivi des élèves a été, d'un avis assez général, efficace pendant le confinement. Mais je n'ai jamais dissimulé que l'enseignement à distance butait sur l'évaluation que nous appelons sommative, c'est-à-dire de vérification des acquis personnels en situation d'examen. On ne peut pas savoir ce qu'un élève a effectivement mémorisé ou ce qu'il sait effectivement faire en totale autonomie. Pour cette raison les notes attribuées pendant le confinement ne peuvent pas compter pour les examens. Les concepteurs de programmes pédagogiques ont sans doute un beau champ de prospection à couvrir pour remédier à cette carence. Mais pour le reste, l'évaluation formative, celle des moyens mis en œuvre par les élèves dans leurs apprentissages, a été réelle et instructive, et l'efficacité était au rendez-vous. Les programmes ont été couverts, et, en certaines matières, plus vite, et, à nouveau, sans décrochage notable. Le retour des élèves dans l'établissement pour une reprise de l'enseignement en présentiel a été récent, et il n'y a pas eu d'évaluation de type examen, qui était totalement impossible tant que la présence n'était pas obligatoire, et après la clôture des évaluations de surcroît. Mais l'expérience conduite en Lycée et en 3ème avec les ateliers disciplinaires ont permis aux enseignants de tester en direct, en quelque sorte, leurs élèves, que ce soit pour de la consolidation des acquis ou de l'approfondissement, et on arrive à un constat, non chiffré, qui est concluant : les élèves n'ont pas perdu leur temps.
APEL : L’enseignement à distance n’a pas fait l’unanimité du côté des parents. Votre point du vue sur la pédagogie est plus nuancé. Quels sont les bons ingrédients d’un enseignement à distance ?
Qu'est-ce qui pourra jamais faire l'unanimité des parents en matière scolaire ? Laissons de côté l'utopie du consensus parental. De toute façon, nous n'avions pas le choix que de nous lancer dans l'enseignement à distance. L'avons-nous bien fait ? Nous avons reçu beaucoup plus de messages d'encouragements et de satisfaction sur l'efficacité de la continuité pédagogique et sur l'engagement des enseignants que de récriminations, et je pense que nous avons surtout été très vite à pied d'œuvre grâce à nos équipements numériques. Mais nous ne prétendons pas être arrivés à la perfection. Notamment l'adoption des solutions numériques ne s'est pas fait aussi rapidement selon les niveaux et selon les habitudes pédagogiques. Mais tout le monde est entré dans l'enseignement à distance et y a développé ses compétences, enseignants comme élèves. On peut au demeurant comprendre les réticences de certains enseignants ou de certains parents. L'enseignement à distance n'est pas une panacée, et il a ses limites : pas d'évaluation sommative, pas de véritable exercice de mémorisation, moins de stimulation collective, plus d'autonomie requise, ce qui rend les apprentissages nettement plus délicats, chez les plus jeunes, en l'absence d'adulte référent à la maison. Mais il a d'énormes vertus : certains élèves qui s'ennuyaient en classe ont été piqués dans leur curiosité, la tyrannie de la note ne s'exerce plus parce que l'évaluation prend en compte autre chose que la performance, à savoir la volonté d'entrer dans une démarche de progression, la gestion du temps est plus souple et s'adapte mieux aux biorythmes, même si la régularité est indispensable et surtout la relation à l'enseignant est autre, plus personnelle. Pour un maximum d'efficacité, il est excellent que les élèves puissent faire régulièrement le point avec leur enseignant, individuellement ou en groupes restreints, en visioconférence ou, à défaut, par le téléphone ou certains réseaux sociaux "fermés". Le cours à distance ne paraît vraiment possible et satisfaisant qu'en fin de Lycée et en CPGE : c'est plus rapide, plus fatigant, et moins interactif qu'un cours en présentiel, et, paradoxalement, le numérique, pourtant très bien adapté pour le travail collaboratif, force l'aspect magistral du cours.
APEL : Les parents ont été sondés sur l’environnement de travail de leurs enfants à la maison. Que retenez-vous des résultats de cette enquête ?
Les réponses me sont apparues globalement encourageantes : l'investissement des enseignants est reconnu et nos choix techniques pour une mise en oeuvre rapide par tablette validés. En même temps, elles indiquent des points d'amélioration intéressants, parfois importants, qui confortent souvent notre analyse de la situation, notamment sur l'importance dans la durée d'avoir le contact par visioconférence avec l'enseignant. L'adoption et la maîtrise de Zoom a été très rapide pour certains et, plus vite les visioconférences se mettaient en place, plus la crédibilité de l'enseignement à distance était renforcée. Il nous faudra prendre en compte ces éléments critiques pour le cas où l'on serait amené, ponctuellement, à recourir à nouveau à l'enseignement à distance. Peut-être même y recourra-t-on dans un autre contexte que la crise sanitaire du moment.
Enfin le questionnaire était, je tiens à le dire, très bien fait. C'était un vrai outil d'évaluation. Il est assez complet. Il permet de faire le bilan d'une pratique pédagogique à domicile, du point de vue des parents praticiens, sans aucune visée laudative ni accusatoire : qu'est-ce qui a marché, qu'est-ce qui peut mieux marcher. C'est tout ce que nous voulions savoir et nous avons des éléments de réponse, à croiser avec ceux des enseignants. Pour cette raison je trouve intéressant que le bureau de l'APEL et le conseil de direction se rencontrent pour croiser leurs analyses et préparer la rédaction d'un protocole d'établissement.
APEL : Quel regard portez-vous sur le retour en classe partiel à partir du 11 mai ?
Il a été beaucoup plus éprouvant que l'invention, somme toute exaltante, d'une école hors les murs. Nous avons été soumis à des injonctions contradictoires et changeantes, tant du côté de nos autorités administratives que des parents. Contradictoires, parce que la consigne a été assez vite d'accueillir le plus grand nombre possible d'élèves dans un cadre règlementaire sanitaire extrêmement contraignant. Contradictoires aussi parce qu'on a cultivé longtemps l'équivoque : la présence à l'école n'était pas obligatoire, mais il fallait faire comme si, l'enseignement en présentiel devait mobiliser les enseignants au maximum, mais il fallait garder le distanciel, l'enseignement à distance creusait les inégalités, mais il ne fallait pas que l'école ouvre d'abord aux victimes. Au bout du compte, ce qui importait, et on comprend très bien pourquoi, c'était que l'école ouvre pour libérer les parents, peu importait la qualité pédagogique de cet accueil. L'école devait mettre entre parenthèses sa mission pour adopter celles d'une garderie. Accueillir était essentiel, enseigner accessoire. Ce qui ne pouvait que créer des tensions : les uns voulaient que les enfants ne perdent pas leur temps dans une école à temps partiel et plaidaient pour un maintien aussi durable que possible de l'enseignement à distance, d'autres voulaient être libérés de la charge éducative des enfants au maximum dans la journée, d'autres encore, surtout en mai, s'inquiétaient du risque sanitaire et attendaient une application drastique du Protocole sanitaire. Ces contradictions, ce n'est pas du passé. Nous les vivons encore aujourd'hui très fortement. Nous avons un Protocole Sanitaire prescriptif et mou en même temps en matière de distanciation et de circulation des élèves. Les consignes subsistent bien, mais sous forme de recommandations, parfois vives, ce qui n'aide pas à leur interprétation. Mais que veulent dire ces recommandations ? Ou il y a un risque sanitaire et il y a Protocole Sanitaire, ou le risque est négligeable, on se contente d'une campagne de sensibilisation aux gestes barrière et on jette le protocole aux orties. Cet entre-deux, mi prescriptif mi tolérant, n'aide en rien la prise de décision, au contraire. Je ne suis pas à l'ARS et je n'ai aucune compétence pour mesurer la réalité du risque sanitaire. Si une contagion est détectée dans une classe, comme récemment à Roubaix, et qu'on n'est pas capable d'isoler les contacts parce que tous les élèves auront été mélangés dans la journée, qui sera responsable ? Je suppose que je le serai et j'aurai du mal à plaider que j'ai pris mes libertés avec de vives recommandations. D'où ma note qui n'a pas plu à certains parents : si la présence au Collège est rendue obligatoire, ce ne peut être que sur la base des emplois du temps ordinaires des classes, donc sans consigne aucune, je dis bien aucune, en matière de distanciation ou de circulation des élèves. J'ai aussi dit que les injonctions étaient changeantes. Les parents doivent bien mesurer à quel régime l'encadrement pédagogique et éducatif est soumis depuis un mois à chaque changement du protocole de reprise. A chaque nouveau dispositif il faut refaire les listes des élèves par groupe, refaire les emplois du temps des enseignants, changer les services des éducateurs. Pour le Collège, en l'espace d'un mois, nous avons dû changer deux fois notre fusil d'épaule et reprendre nos dispositifs d'accueil à zéro. Le primaire en est à sa troisième version. Tout récemment, nous avons appris le dimanche que la présence à l'école redevenait obligatoire pour tous dans les conditions habituelles, le mardi que l'on atténuait la rigueur du Protocole Sanitaire mais que subsistaient les règles de la distanciation et le non-mélange des groupes, et le mercredi soir qu'il y avait toujours de la distanciation, mais que si elle n'était pas possible, le masque suffirait. Quelles circonvolutions et pertes de temps pour dire : il n'y a plus de distanciation qui tienne en classe. Nous étions prêts à satisfaire la demande présidentielle du retour à l'école obligatoire. C'était notre première option. C'était déjà une épreuve car il fallait relancer la restauration et la facturation pour quinze jours. Mais certainement pas au prix d'un nouveau dispositif improvisé de deux semaines de garderie (réduites à une en raison des travaux). Le confinement a pu être occasion d'inventivité pédagogique. Le déconfinement a été une succession de changements de cap, de contrariétés et de prises de bec, chacun voyant midi à son heure. Le lycée fait exception : il a pu tenir sereinement le cap de l'enseignement à distance jusqu'à la mi-juin et les ateliers disciplinaires que suivent les volontaires depuis lors sont une réussite. Mais le Lycée a été plus épargné par la fièvre administrative et par la pression des parents que l'Ecole en mai ou le Collège en juin.
APEL : Sur quoi pourra-t-on mesurer le taux de réussite de Saint Vincent aux examens cette année?
Le contrôle continu tiendra lieu d'examen. L'admission et les mentions seront fonction d'une moyenne qui est établie dans chaque matière selon des normes précises communiquées par les Inspecteurs Pédagogiques Régionaux. Mais ce n'est pas l'établissement qui attribuera le diplôme et la mention, mais un jury académique, qui atténuera la rigueur de certaines notations. Le problème des contrastes de notation entre établissement, qui défavoriserait des élèves issus de lycées "100 %" très sélectifs, est surtout un problème parisien. Les résultats du contrôle continu y sont régulièrement très en-dessous des résultats au bac. Les différences de notation existent ailleurs, mais l'amplitude est relativement faible. Suffisante pour justifier une harmonisation.
APEL : Quels messages formulez-vous aux parents en cette fin d’année?
1) Profitez bien avec vos enfants de vos vacances
2) Vous pouvez être fiers de vos enfants et de vous : vous avez sauvé cette année par votre engagement aux côté des enseignants.
3) Ne tirez pas sur l'ambulance.
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